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GERARD , BERNARD , ALAIN , BRIGITTE , … ET LES AUTRES

In Uncategorized on septembre 28, 2017 at 8:32

Exi(t)l fiscal et « dénationalisations » individuelles

I . Actualité d’ Albert . O . Hirschman

L’affaire de Florange l’a montré avec dureté : quelles que soient ses préférences idéologiques , le gouvernement Ayrault ne souhaite pas revenir , sous une forme ou l’autre , à une politique de nationalisations .Pour prendre une image , ce serait faire monter à bord d’un navire une foule de réfugiés qui feraient couler l’embarcation déjà ployée sous sa ligne de flottaison .Et pendant ce temps ,un certain nombre de chefs d’entreprises ou de grands noms du spectacle ,l’œil fixé sur la leur ,font savoir urbi et orbi qu’ils ont quitté la France , fiscalement parlant ,ou qu’ils s’apprêtent à s’exiler , qui en Suisse , qui en Grande Bretagne , en Belgique ou ailleurs .Autant de nouvelles Coblences ?Il faut y regarder de près .Ces départs là , dont les mobiles strictement personnels ne sauraient être que conjecturés , ne s’en expliquent pas moins en termes de science politique – à condition de ne pas user de cette expression de manière trop présomptueuse .En ce sens les théories d’ Albert O . Hirschman , entre autres , méritent d’être rappelées , au moins pour l’essentiel .

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Le lien d’un individu quelconque avec les siens , avec son entreprise , avec telle ou telle institution , voire avec son propre pays , exige de sa part constance et esprit de suite , ce que garantit psychologiquement et moralement la valeur de loyauté ( loyalty ) . Cette fidélité n’est pas inconditionnelle , donnée une fois pour toutes .En cas de dissentiment ou de conflit , elle doit être confirmée et même renforcée par une discussion libre( voice ) , et si possible , pour employer un terme qui fait florès , « positive » . Lorsqu’elle celle –ci aboutit , le lien de loyauté est renouvelé , comme on

le dirait d’un bail , et se trouve même renforcé par l’épreuve .Autrement deux issues sont envisageables : soit le désistement qui prépare les viles soumissions , soit le départ ( exit ) vers des terres plus accueillantes , ou le même schéma se verra néanmoins reconduit . On le constate , un tel schéma qui date déjà de plusieurs décennies se caractérise par sa simplicité logique et par sa force identificatoire , chaque citoyen pouvant juger et jauger le point où il se trouve personnellement au regard de ses contraintes fiscales et de sa propre capacité de réaction . S’ y rapporter évite en tous cas de se rabattre sur des considérations par trop subjectives .Faute de quoi , qualifier un « partant » de « minable » , c’est risquer le coup de boomerang .Cependant , le même schéma ne suffit pas à rendre compte de ces dilemmes puisqu’il laisse entière la question de la mise en balance des trois éléments qui le constituent , à moment donné et pour telle ou telle personnalité . Car jeter la pierre à ceux qui s’en vont , c’est à coup sûr leur barrer la voie du retour , une voie qu’il faut laisser ouverte , selon la leçon de Benjamin Constant .Dés lors que l’on se sent toujours libre de sa pensée et de ses mouvements rien n’est jamais irréversible .

Mais comme on l’a dit , il ne s’agit pas de supputer les mobiles individuels , conscients ou non , d’une pareille mise en balance .Il faut se demander plutôt comment il se fait qu’une dé- nationalisation de cette sorte devienne possible .Deux hypothèses valent d’être explorées et discutées .La première tient aux effets subjectifs de la mondialisation et de l’hyper- révolution technologique qui l’accompagne , l’étaye et l’amplifie ; la seconde à la faiblesse , faut –il dire corrélative , de l’idéologie socialiste en ce début du XXIeme siècle , du socialisme strictement « gestionnaire » , surtout lorsque ses représentants se retrouvent au pouvoir et y essuient l’épreuve du feu .

II . Exil ou Exit ? Un exil sans déracinement .

L’expérience de l’exil est l’unes plus éprouvantes qui soit. Elle entraîne le déracinement de la terre qui vous a vu naître et grandir. Après quoi se

produisent délocalisation psychique et sentiment d’étrangeté en quelque nouveau lieu où l’on demeure . La tentation est de se rabattre sur soi . Tout le monde n’a pas la capacité de sublimation d’un Victor Hugo à Guernesey .Face à l’océan immuable et rugissant , d’autres idées peuvent venir qui ne se coulent pas forcément en alexandrins incandescents .Aussi , devant les issues imaginables d’un conflit , le risque de l’exil reste dissuasif et la menace du bannissement propre à faire réfléchir les esprits les plus convaincus .Tout dépend de la motivation invoquée .Pour Hugo , ce fut le respect absolu de la Loi et du droit violentés par « Napoléon le petit » ; pour Soljenitsyne la dévastation des idéaux révolutionnaires au Goulag . Mais pour Gérard , Alain , Bernard , Brigitte , et tant d’autres – parce que ce mouvement migratoire ne date pas de l’arrivée de François Hollande à l ’ Elysée ? Quelle raison invoquer ? Faut –il imputer à ces migrants fiscaux des motivations basses et une atrophie de l’âme , avec l’effacement des paroles de la Marseillaise du fond de leur cœur ? On s’en gardera .A quel titre prétendre que l’âme du voisin est moins noble que la nôtre ? Surtout lorsqu’il arrive , au sommet de l’ Etat , que l’on habite dans le même immeuble , que l’on soit même voisins de palier , que l’on ait fréquenté les mêmes écoles et les mêmes clubs ?C’est pourquoi il est indispensable de revenir aux deux grands mouvements collectifs des cinquante dernières années : la crise chronique , et la mondialisation , chacune se nourrissant de l’autre .

Depuis 1973 , nombre de pays sont rongées par un mal aux causes multiples et aux effets perdurables contre lesquels se sont usés tous les gouvernements , de quelque couleur qu’ils aient été . Georges Burdeau l’avait qualifié d’ « anémie graisseuse » . Celle –ci a engendré une autre forme de pathologie collective : l’anomie anxieuse . Face à la durée de cette « crise » si mal nommée et à sa dureté , un sentiment d’impuissance domine qui mine la croyance , vitale pour quelque société que ce soit , en un avenir meilleur . A tel point que les notions de jeunesse et d’avenir – au sens qualitatif- se sont découplées . Dans ces conditions , les formes du

salut elles mêmes ont muté et se sont dégradées , prenant la forme soit des salvations grégaires dans lesquelles le jugement personnel s’abroge , soit des salvations strictement individuelles , avec la religion , s’il faut ainsi la qualifier , de la « réussite » , que celle –ci se manifeste dans le domaine des affaires , du show – bizness, en ses multiples variantes , parfois intellectuelles , ou du carriérisme politique , ces trois catégories n’étant nullement étanches mais commutatives .Le démontre un Bernard Tapie qui pour être quelque peu atypique n’est pas extra – terrestre ou non « bon- français » . Même si la lecture n’en est réservée , à tort d’ailleurs , qu’à quelques spécialistes , n’est -ce pas Max Weber qui l’a solidement expliqué dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme ? Il en résulte que la « réussite », conçue comme entreprise de salvation personnelle, ne peut souffrir d’associé ou de participant forcé . Une monade ne saurait devenir une « binade » , si l’on osait ce néologisme . Or , et pour demeurer dans ce registre explicatif , qu’est-ce que la fiscalité sinon la prise de participation forcée de l’ « Autre étatique » dans votre propre dispositif de salut , bref une forme de forçage existentiel , sinon de viol animique ? Et en ce point , il faut s’exposer aux formulations limites : un viol unique , somme toute accidentel , bon … mais la prévision d’un viol en réunion , et parfois d’une « tournante » d’année fiscale en année fiscale exige à la fin que l’on se préserve . La seule issue que l’on perçoive est alors signalée par la pancarte Exit . Cependant , pourquoi exit n’est plus tout à fait équivalent à exil ? A cause – ou grâce – à la construction européenne et à la mondialisation .

Dans les deux cas s’est constituée un vaste espace commun , avec de fortes bifurcations de routes lorsque l’une ou l’autre d’entre elles se trouve encombrée ou barrée .Les deux plaies précitées de l’exil : le déracinement et la délocalisation ne sont plus aussi dissuasives . Grâce au TGV , au Thalys , à l’ Eurostar , Paris est plus proche de Genève , de Londres ou de Bruxelles , que de Marseille.Voilà pour le transport des corps physiques

. Il suffit que le conjoint y consente .Pour le reste , un monde peut se transporter dans un ordinateur – caméra- sous un format de poche .Quant à la « déterritorialisation » , rien ne ressemble tant à un beau quartier qu’un autre beau quartier , et cela sous toutes les latitudes.La mondialisation a accentué ces standardisations qui font l’univers tellement fluide . Si l’on s’y estime contraint , et si l’on en a – encore – les moyens , pourquoi se gênerait –on ? Au pire , il suffit d’attendre quatre années supplémentaires .Si François Hollande à succédé à Nicolas Sarkozy c’est bien que l’alternance politique est avant tout mécanique .

III . Socialisme et réalités

Il n’empêche . L’évasion fiscale était déjà traquée sous la présidence précédente . Pourquoi les diatribes actuelles ? Pourquoi s’étonner qu’un pouvoir « socialiste » fasse prévaloir le social sur l’individuel , en dosages toutefois précautionneux , et qu’il en conçoive le financement drastique au profit des plus nécessiteux ? Un riche serait –il à ce point privé du sens élémentaire de la solidarité , du bien commun ? C’est ici que l’idéologie socialiste bute contre les nouvelles formes de salvation dont il a été question . De nos jours un riche ne s’estime jamais tel , et lorsqu’il l’admet , il affirme ne le devoir à personne qu’à lui même . Comme il n’y plus de « classes » et donc plus de « luttes de classe » qui fournisse une explication transcendante de la mesure qui le matraque , il l’imputera à trois motifs convergents : le ressentiment , sinon le « racisme » anti-riche ; plus prosaïquement le rackett destiné à financer non pas les pauvres et les défavorisés mais le nouveau personnel politique arrivé au pouvoir et décidé à s’y maintenir ; l’analphabétisme économique d’une Gauche qui n’est pas sortie de l’ère psychique de la dékoulakisation .L’auréole « socialiste » ne recouvre plus en réalité qu’une pure et simple entreprise de conquête du pouvoir , pour elle même et pour lui même .Une fois ce pouvoir conquis , non sans intelligence manoeuvrière , la réalité prend des allures de gouffre et les riches y sont précipités en vue de le combler . Voire ..

Une fois de plus , dans ce type de situations , il faut prendre en compte les érosions de longue durée et les détonateurs circonstanciels . Aucune société ne peut survivre sans participation aussi égalitaire que possible à la production et à l’entretien des biens qualifiés de collectifs . Vouloir emprunter une route qui fût toujours bien entretenue à condition que le voisin en prenne exclusivement la charge n’est pas la marque d’un esprit conséquent .C’est pourquoi le mot « contribution » , avec ses connotations volontaristes et consensuelles , est préférable au mot impôt , et que l’on doit s’acquitter d’une « Contribution Sociale Généralisée » plutôt que d’un « Impôt Injuste Totalitaire » . Il n’en demeure pas moins que tout prélèvement – ici le vocabulaire redevient corporel , charnel – ne doit pas être ressenti comme une amputation dont Shylock reste le référent horrifique . Il vaut mieux invoquer les mânes de Keynes , et de toute la mouvance du Welfare State .De sorte qu’une contribution , à condition d’être équitablement calculée , soit considérée , à sa manière, comme un « retour sur investissement » . Autrement , le vocabulaire commutera de nouveau en sens inverse et réapparaîtront , s’ils avaient jamais disparu , les mots non moins horrifiques de « confiscation » et de « spoliation » . C’est sur ce point que l’Etat envisagé comme une entité sinon comme une personne doit s’interroger sur un autre découplage : celui de sa légitimité et celui de ses résultats . De nombreuses études l’ont établi : l’autorité ne s’obtient qu’avec les résultats probants qui la légitiment . Autrement , l’on aura beau faire , et camoufler ses échecs par de la charpie de « com’ » , elle ne se distinguera pas de l’autoritarisme , lequel violente la culture de liberté qui reste heureusement la marque essentielle des sociétés démocratiques .L’écrivain japonais Mishima a pu écrire qu’en matière de pouvoir il ne suffit pas de prétendre : il faut aussi et surtout assumer . Nul n’est obligé de devenir président de la République , Ministre des finances , PDG de Renault ou Primat des Gaules .Une fois parvenu à ce poste il faut , au sens kantien , oublier ses prédécesseurs et assumer ce qui devient une irréductible

responsabilité personnelle. Présider un Etat , conduire un gouvernement porte autant à conséquence que piloter un avion gros porteur ou conduire une opération à cœur ouvert . La mort sociale que constitue le chômage n’est pas moins grave que la mort physique produite par un crash ou par un mauvais geste médical . Il fut un temps où le socialisme désignait une espérance et soutenait des idéaux de haute volée .La philosophie qui le nourrissait se prévalait de quelques uns des plus grands esprits d’alors et ceux – ci , comme Jaurès ou Blum – au passage de si grandes plumes !- étaient prêt à le payer de leur vie et de leur liberté .Aujourd’hui il désigne malheureusement une forme de gestion pénurique substituant aux biens réels des biens « symboliques » , ou passant pour tels , et finançant ceux ci par l’équivalents d’assignats . La révolution sans la révolution , et la réforme sans résultats . Gérard , Alain , Bernard , pour les plus connus , en ont tiré les conséquences .On en pensera ce que l’on voudra . Mais il y a les autres . Les exilés de l’intérieur , ceux qui font le gros dos , quêtent leur salvation dans le calcul anxieux des annuités de retraite , ou vont la chercher chez le dealer du coin .

Raphaël Draï, Janvier 2013, pour Magistro.fr

 

RAYONNEMENT DE YOM KIPPOUR – Arche Avril 1990

In Uncategorized on septembre 25, 2017 at 8:29

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Comme Jérusalem est le point de ralliement du peuple juif dans l’espace, Yom Kippour l’est dans le temps qui s’écoule d’une année à l’autre. Que l’on soit juif observant ou non, sensible ou réfractaire à la présence divine, juif des 613 mitsvot ou juif d’aucune, sauf de celle d’être juif sans même admettre que cela soit une mitsva, Yom Kippour, qu’on le vive à la synagogue ou chez soi, est un jour peu ordinaire, grand et redoutable. Les juifs observants rappellent par les prières qu’ils récitent alors, par le jeûne qu’ils observent, par l’examen de conscience qu’ils creusent en leur mémoire, cet autre jour au terme duquel Moïse sut obtenir de Dieu le pardon de la faute du Veau d’Or commise par les Bnei Israël pourtant libérés d’Egypte. Car au-delà de ce pardon, Moïse avait obtenu aussi par son amour d’Israël que justement ce Dieu là se révèle : Dieu de compassion et de commisération, qui donne e l’homme faillible expose aux exigences de la Loi le temps de la comprendre et d’en réaliser le contenu. Et non pas divinité irascible et vengeresse, qui ne supporte pas que l’homme ne lui obéisse pas sur le champ, tel un esclave ou une bête de trait. C’est ce premier Yom Kippour que les juifs observants veulent prolonger parce que l’attitude de Dieu envers l’homme commande celle de l’homme envers son prochain. Si la Torah a été transgressée, la volonté de réconciliation de l’homme avec Dieu n’a de sens que si le peuple d’Israël, comme Am, comme Ensemble, est reconstitue. Sachant ce que peut être la profondeur des discordes et l’inépuisable résonance des disputes, l’exigence religieuse de la réconciliation atteste de la capacité à tester réellement libre, c’est-à-dire d’assigner une borne obligatoire à toute déchirure du lien interhumain, une échéance a tout ressentiment. Et si le respect de cette limite s’avère impossible, si pénètrent dans la synagogue des êtres encore désaccordés, c’est que Kippour restera imparfait, que l’on évoquera le Service saint qu’accomplissait le Grand-Prêtre dans la Maison de Sainteté avec une âme partiellement indisponible. Au-delà des connotations mystiques de mauvais aloi du mot messie, l’on comprend que la Tradition juive ait lié l’avènement messianique, tel qu’elle le comprend, à l’accomplissement d’un Chabbat en sa plénitude et à celui d’un Yom Kippour sans réticence.

Les juifs non-pratiquants n’en respectent pas moins eux aussi la grandeur de ce jour-là parce qu’ils savent qu’aucune des indifférences dont ils peuvent faire preuve, des renoncements à quoi ils auraient consenti, ni aucun éloignement du peuple d’Israël, aucune abjuration, nul reniement, ne serait obstacle à leur entrée de plein droit dans toutes les synagogues du monde, comme le dit la bouleversante prière de Kol Nidré « dans l’Assemblée d’en Haut et dans l’Assemblée d’en Bas ». Car Israël est un peuple qui fut dispersé aux quatre points cardinaux de l’univers et de l’esprit, et qui lentement retisse l’étoffe que le glaive a parfois déchiré d’une Tente qu’en plein Désert l’on nommait Tente de la Rencontre. Le juif de Kippour n’est pas le juif surnuméraire qui s’ajoute aux autres un seul jour après s’en être soustrait le reste de l’année. ll est cet homme ou cette femme qui parfois n’ose pas parler de ses épreuves et de ses déchirements parce que la pudeur l’emporte encore sur la souffrance; qui peut-être ne jeûne pas mais qui sait que d’autres s’imposent l’épreuve de la soif et de la faim afin que leur prière procède vraiment d’une faiblesse surmontée. Qui parfois aussi n’ose pas s’enfoncer dans la houle des châles blancs aux lignes noires ou bleues. Qu’importe : le jour de Kippour chacun ne demande des comptes qu’à soi seul. Et le plus observant sait qu’il s’est trouvé parfois, ne fut-ce qu’une heure, une minute ou simplement le temps d’une pensée, comme quelqu’un qui a perdu son hébreu.

Raphaël Draï zal, l’Arche Octobre 1990

PAIX INTIME DE TICHRI par Pr. Raphaël Draï zal

In Uncategorized on septembre 17, 2017 at 8:06

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Sans que ces deux solennités soient dissociables, dans la complétude du calendrier d’Israël l’on peut dire que Pessah célèbre au printemps la conquête de la liberté politique et que les liturgies de Tichri célèbrent à l’automne celle de la liberté intérieure, de l’esprit en lutte non contre un ennemi extérieur, mas contre lui-même. Afin qu’il s’y instaure une paix qui ne soit pas d’illusion mais d’accord intime avec soi. Tichri donne ainsi son plein sens à l’injonction du Lévitique : « Et tu aimeras ton prochain comme toi. Pressés par la nécessité de démontrer que le judaïsme comporte lui aussi une éthique de l’altérité qui le démarque de la fantasmagorie du « Dieu-Vengeur de l’Ancien Testament » bien des penseurs juifs ont donné de ce verset une interprétation unilatérale fondée sur le second de ses deux termes. Ainsi s’est développé, à juste titre dans un univers souillé par la méconnaissance de l’Autre, le rappel pressant de la responsabilité vis-à-vis d’autrui que la Torah érige en effet en Klal Gadol, en Grand Principe, au sens que cette formule reçoit en démocratie lorsque sont évoqués les Principes Généraux du Droit. Mais cette éthique de l’Autre ne saurait oblitérer le versant qui lui correspond : l’Ethique de soi qui empêche de transformer la morale d’Israël en pensée sacrificielle. L’amour que l’on se doit, comme si l’on était un autre, n’est que trop justifié par les manifestations de la haine de soi dont l’expression politique n’est que la plus voyante. Dans l’histoire d’Israël il est peu d’exemples de suicides. Le roi Saül a pourtant mis fin de ses mains à ses jours. Il pensait que l’Esprit de Dieu l’avait déserté au point de lui refuser jusqu’aux rêves de la nuit. Il suffit de suivre son évolution dans le Livre des Juges puis de Samuel pour voir comment, peu à peu, moins que ce David qu’il persécute, ce qui suscite sa haine meurtrière c’est sa propre vie, appesantie par une Royauté dont le sens messianique lui échappait. Pendant un temps la persécution du fils d’Ishay servira de dérivatif à cet ennemi intérieur. Mais lorsqu’elle se révèlera inopérante vis-à-vis de son objet réel alors il ne restera d’autre issue que l’épée que l’on se plonge dans le ventre. C’est parce qu’elle respecte l’équilibre nécessaire entre l’amour d’autrui, du prochain, et de soi, que la Bénédiction des Cohanim est commentée par ceux qui l’écoutent sous le talith, sous le châle de prière, par cet autre verset : « Paix, paix au Lointain (rah’ok) et au proche (karov) dit Dieu ». Ce verset peut s’entendre de deux manières au moins : paix à l’Autre qui est près, et paix à l’Autre qui est loin. Mais aussi paix à l’Autre, dans tous les cas, et paix pour soi. Paix pour l’esprit saisi d’un mauvais vertige lorsqu’il tourne et retourne l’argument qui l’a blessé et qu’il ne cesse d’énoncer dans la plaie : paix pour l’esprit qu’habite une peur qu’il nourrit de sa propre substance parce qu’i ne sait pas ce que lui réserve la réalité, et que plus il s’éloigne d’elle plus elle s’éloigne de lui tandis que l’intelligence se déchire dans cet écart sans fin : paix pour l’esprit qui se croit libre mais que l’Ennemi occupe tel un envahisseur qu’on ne laisserait plus s’en aller. Les solennités de Tichri revêtent une gravité qui ne marque ni Pessa’h ni Shavouot parce qu’elles n’ignorent rien des difficultés de la pacification intérieure. L’on pourrait s’interroger : pourquoi ne suffit-il pas d’accomplir Kippour une seule fois dans son existence ? Pourquoi recommencer chaque année ? Parce que d’une année à l’autre les manquements à la Loi se renouvellent ? Certainement mais pourquoi se renouvellent-ils sinon parce que la source n’a pas été véritablement atteinte ? Dans sa vie, de Tichri en Tichri, les Kippours ne se juxtaposent pas. Ils cumulent leurs forces respectives pour toucher enfin et abolir cette source de pensées amères qui nous font parfois recracher notre propre langage, nous laissant la bouche vide, sans mots pour l’Autre, mais sans rien avoir non plus à se dire. Ce rejet de l’amertume est au cœur de la liturgie de Roch Hachana. C’est elle qui commande que, pour un soir, inaugural, sur la table le sel soit remplacé par le sucre.

Que l’année nouvelle soit douce pour tous.

Raphaël Draï zal, l’Arche Septembre 1991

LE SENS DES MITSVOT: NITSAVIM

In Uncategorized on septembre 14, 2017 at 8:09

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« Vous êtes placés (nitsavim) aujourd’hui, vous tous, en présence de l’Eternel votre Dieu: vos chefs de tribus, vos anciens, vos préposés, chaque citoyen d’Israël ; vos femmes, vos enfants et l’étranger qui est dans tes camps, depuis le fendeur de bois jusqu’au porteur d’eau, afin d’entrer dans l’Alliance de l’Eternel ton Dieu (Berith Hachem Elohékha) ». Dt, 29, 9 à 11. Bible du Rabbinat.

 

Le mot déterminant est ici NiTsAVim, approximativement traduit par « placés ». Mais que signifie justement ce placement? Il faut s’arrêter à la racine de ce terme: TsB(V) que l’on retrouve précisément dans MiTsVa. La disposition actuelle du peuple d’Israël n’est pas seulement géographique ou topographique. Nitsavim désigne autant une disposition physique qu’un état de l’Être. Que les Bnei Israël, en ces parachiot conclusives, soient caractérisés par ce terme signifie alors qu’ils se trouvent intégralement dans les liens de l’Alliance, obligés par une Loi qui transcende les catégories sociales et qui concerne autant le citoyen, l’ezrah’, que l’étranger, le guer. Autrement dit encore, le peuple qui s’apprête à traverser le Jourdain pour investir la terre de Canaan et la restituer à sa vocation première, ce peuple n’est certes plus celui du Veau d’or ou des récriminations incessantes, toujours sous l’emprise parfois hallucinatoire de ses désirs et sa fallacieuse nostalgie d’une Egypte imaginaire. Ce peuple est devenu, après maintes épreuves, celui de la Thora, des 613 mitsvot, et c’est en ce sens précis que tous ses membres, sans exception, sont qualifiés de nitsavim. En eux, la Thora s’incarne. Par eux elle devient effective et efficiente car, et on le répétera jamais assez, en entrant en terre de Canaan ils sont pour mission d’en faire Eretz Israël et non pas de devenir à leur tour des Bnei Canaan. Les Livres des Juges et des Rois relateront d’ailleurs à quel point cette tâche fut difficile et les échecs auxquels elle se heurta.

Cependant, il est possible de soutenir que cette qualification des Bnei Israël, au moment où Moïse s’apprête, non sans arrachement, à les quitter, ayant passé le relais à Josué, va bien plus loin que leur propre condition. Elle concerne l’être même de l’Humain, de Haadam. Souvenons-nous de la manière dont celui-ci fut situé dans le Jardin d’Eden – pour employer cette image: « L’Eternel-Dieu prit donc l’homme et l’établit dans le Jardin d’Eden pour le cultiver et le soigner.L’Eternel Dieu donna un ordre à l’homme (VaYTsaV Hachem Elohim âl Haadam), en disant : « Tous les arbres du Jardin, tu pourras t’en nourrir, mais l’arbre de la science du bien et du mal tu n’en mangeras point; car du jour où tu en mangeras, tu dois mourir » (Gn, 2, 15 à 17) (Bible du Rabbinat).

Que constate t-on? C’est pratiquement un même terme qui désigne la situation de l’Humain au Jardin d’Eden, où il apparaît déjà comme le sujet d’une Loi, d’une MiTsVa générique, qui se décline selon le Midrach en plusieurs catégories de mitsvot spécifiques, et qui caractérise la situation des Bnei Israël au moment de traverser le Jourdain dans le but que l’on a rappelé. Cette identité de terme signifierait que si l’Humain au Jardin d’Eden n’a pas su assumer et mettre en oeuvre la Mitsva générique formulée par le Créateur à son intention, et s’il en est résulté d’une part l’apparition de la mortalité parmi les hommes, et d’autre part, l’externalisation de l’Humain du Jardin vital où il avait placé, à présent, les Bnei Israël, au terme de quarante années d’un incessant travail sur soi, sont en mesure de relever l’humanité première de ses défaillances initiales. L’Humain premier était en quelque sorte MouTsaV, assigné à une loi – et l’on retrouvera toute cette terminologie à propos de l’Echelle de Jacob (Gn, 28, 12) – mais il n’a pas tardé à céder à d’autres impulsions.

A présent ces impulsions-là, même si elles n’ont pas été complètement liquidées, se retrouvent néanmoins liées par une Alliance particulière, l’Alliance de la Thora, qui n’est « ni au delà des mers ni au delà des cieux » mais qui se trouve au plus proche de notre âme et de nos capacités réflexives.

Raphaël Draï zatsal 18 septembre 2014

LE SENS DES MITSVOT: KI TAVO

In Uncategorized on septembre 8, 2017 at 12:40

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« Or, quand seront survenus tous ces événements, la bénédiction et la malédiction que j’offre à ton choix (…), que tu retournes (véhachévota) à l’Eternel ton Dieu et que tu obéisses à sa voix en tout ce que je te recommande aujourd’hui (…) ton Dieu te prenant en pitié mettra un terme à ton exil (vechav Hachem Eloheikha) et il te rassemblera du sein des peuples parmi lesquels il t’aura dispersé » (Dt, 30, 1 à 3).

Bible du Rabbinat.

Tout au long des précédentes parachiot l’on a reconnu à quel point importait pour les Bnei Israël, l’esprit de suite, le sens des conséquences attachés à nos actes, l’esprit de responsabilité, individuelle et collective. Autrement, il ne faut pas imaginer, comme on l’a vu aussi, qu’il ne se passera rien, que la loi divine resterait lettre morte. Le choix est pour chacun: soit l’observance et la mise en pratique de la loi, soit le rejet de celle-ci. Dans ce dernier cas, l’issue est inévitable: la dispersion parmi les nations lesquelles imposeront aux exilés leur propre loi dont il n’est pas sûr qu’elle s’avèrera loi de justice et de mansuétude. Dans ce cas rien d’autre n’attendrait le peuple du Sinaï que la désespérance et la déréliction?

C’est ici qu’intervient un concept majeur de la pensée hébraïque, sans doute sans équivalent dans toutes les autres formes de pensée et de culture: celui de téchouva, de retour, de «revenance» qui présente ceci de particulier: la téchouva de l’homme suscite la téchouva de Dieu.

Quel est avant tout le sens même de ce concept? Il se discerne, certes, dans celui de retour. Le retour n’est pas la répétition mécanique. S’en retourner, revenir sur ses pas, signifie que l’on dispose d’une réelle liberté de mouvement; qu’il n’est rien d’irréversible, qu’il n’est rien d’irréparable, qu’il n’est rien de fatal. L’être qui se trompe de chemin et qui ne peut revenir en arrière est condamné à une angoissante errance. Au contraire, s’il peut s’en retourner, il retrouvera peut être d’autres repères, d’autres balises qui lui permettront de reprendre plus sûrement son cheminement vers l’avenir.

Telle est la caractéristique de l’être humain conçu comme créature divine. Il fait partie d’un univers dont les mouvements profonds ne sont pas à sens unique. Ce qui découle de l’institution originelle du chabbatTeChouVa et ChaBBaT sont deux vocables construits sur la même racine : ChB (V). Le septième jour, ou la septième phase de la Création est celle au cours de laquelle la réflexion prend le relais de l’action, la pensée celui de l’agir. Autrement, la Création se réduirait à un fait accompli déterminant de soi les phases à venir sans possibilité de modification, de correction, d’adaptation. C’est surtout de cet enchaînement dont il est question dans la paracha dite des kélalot, des malédictions. Celles-ci se substituent à la bénédiction lorsque, faute de préserver pour soi même mais également pour autrui, cette capacité de choix, cette aptitude à la réversibilité, l’on s’abandonne au cours des événements, qu’on en devient le jouet, bientôt brisé.

Pareille leçon n’a pas été comprise précisément par les nations au sein desquelles par deux fois le peuple d’Israël a été exilé, faute d’avoir observé comme il le devait – puisqu’il s’y était engagé – les termes de l’Alliance, de la Berith .Pourtant, si l’exil fait partie de la condition humaine il n’a rien d’irréversible non plus. La présence des Bnei Israël sur la terre que Dieu a dévolue à leurs pères reste conditionnelle mais l’exil est également conditionnel et persiste pour autant que le peuple qui en est affligé n’est pas revenu sur ses pas, n’a pas fait oeuvre de réflexion, n’a pas réfléchi aux erreurs qui ont marqué son trajet pour le mener dans les sables mouvants de l’Histoire.

Dès lors qu’il redevient capable de téchouva, plus rien ne demeure figé et irréversible puisque lui même ayant recouvré son aptitude à penser, et donc sa capacité de décision, l’être humain n’est plus une chose parmi les choses mais redevient un sujet actif et conscient de l’Histoire. Toute téchouva est marquée du signe de la réciprocité: dès l’instant où l’homme réactive la sienne, le Créateur de son côté n’est pas de reste et par sa propre « revenance », par son aptitude à la compassion et au pardon, accentuera et renforcera ce mouvement initial.

Telle est la leçon des mois de Eloul et de Tichri. Si Pessah commémore le recouvrement de la liberté des corps, Eloul et Tichri commémorent le recouvrement de la liberté plénière de l’esprit.

Raphaël Draï zatsal 11 septembre 2014