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COMMENTAIRE DE LA HAPHTARA : MICHPATIM

Après un cycle de deux années consacrées aux parachiot s’engage à présent le cycle des haphtarot. Rappelons que la haphtara reprend les thèmes principaux de la paracha afin de leur conférer parfois à des siècles de distance validité historique et résonance morale. Pour la bonne compréhension des commentaires à venir l’on voudra bien se reporter au texte intégral de la haphtara concernée dont les références seront chaque fois indiquées. Il ne s’agira pas ici d’un commentaire systématique mais de celui des points les plus saillants d’un texte dont on pourrait dire en langage mathématique qu’il est homothétique à celui de la paracha.

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 Jérémie 34 ; 8 à 22 et 33 ; 25, 26

La paracha Michpatim s’inaugure par la prescription capitale selon laquelle tout travailleur ayant engagé sa force de travail pour des raisons diverses doit obligatoirement être rendu à sa liberté la septième année (Ex, 21, 2). On mesure l’impact de cette prescription inaugurale sur le modèle politique, social et économique d’Israël. La présente haphtara souligne à quel point pareil modèle se veut intransgressible. Elle est tirée du livre de Jérémie, avec Esaïe et Ezéchiel un des trois « grands prophètes » – grand par la dimension des textes en question – de l’Israël devenu souverain sur la terre dont Dieu a fait dévolution aux Patriarches.

Selon l’enseignement d’André Neher la mission prophétique consiste non pas à prédire l’avenir mais à préserver les termes de l’Alliance du Sinaï, à les restituer en cas de besoin dans leur sens réel, quitte à destituer le Roi qui les méconnaît ou qui les transgresse. Ainsi en va t-il de la libération des travailleurs hébreux après les six années maximales de leur emploi, lui même régi par un minutieux droit du travail. Cette libération, nommée dror, n’est ni négociable, ni susceptible d’« aménagements ». L’être humain doit assumer sa liberté sans laquelle il n’est pas de responsabilité digne de ce nom. D’aucune manière la conjoncture, aussi contraignante qu’elle soit à titre personnel, ne doit porter atteinte à cette vocation.

C’est à ce rappel que procède Jérémie, au VIème siècle avant l’ère actuelle et prés de deux millénaires après la promulgation du michpat précité. Quant à la conjoncture historique l’injonction du navi intervient à la suite du schisme qui a clivé la terre d’Israël entre deux tronçons de royaume: celui d’Israël et celui de Juda dans le ressort duquel se trouve la capitale: Jérusalem. Profitant des dissensions entre ces deux demi-royaumes, les armées de Nabuchodonosor ont envahi leur territoire et s’approchent de la capitale pour la subjuguer. Comment leur faire face?

Pour le prophète Jérémie chercher de nouvelles alliances serait de nul effet. Il faut bien le comprendre: la force militaire de Nabuchodonosor n’est qu’une conséquence de l’affaiblissement moral du peuple d’Israël devenu irrespectueux de l’Alliance sinaïtique. Il semble que le roi de l’époque, Sédécias, en ait été convaincu. C’est pourquoi il incite tout ce qui est devenu l’aristocratie du Royaume, qui transgresse le principal capital du dror, à le rétablir immédiatement, à revigorer l’Alliance, la Berith, à libérer les hommes et les femmes qui se trouvent encore indûment liés à ceux qui sont devenu leur « maîtres » au delà des six années légales.

La haphtara décrit les deux mouvements contrastés qui s’ensuivent et là se trouve une première leçon. Dans un premier temps, mus par un sentiment où se mêlent culpabilité et enthousiasme moral, les nouveaux maîtres obéissent à cette injonction, mais dans un second temps qui annule le premier ils se ravisent et se saisissent à nouveau des travailleurs qu’ils avaient libérés. Ce retournement mental fait alors penser irrésistiblement à celui du Pharaon et de sa caste une fois qu’ils s’étaient résignés à laisser s’en aller le peuple des hébreux (Ex, 14, 5). Signe que l’Egypte esclavagiste s’était reconstituée au sein même du peuple d’Israël.

Cependant, comme on y a souvent insisté, l’Alliance comporte sa propre logique interne. On ne saurait s’en délier pour les obligations à quoi elle engage et vouloir bénéficier des bénédictions qu’elle induit. Cette logique va s’appliquer ici en pleine responsabilité, d’où l’emploi du terme lakhen qui veut dire: par suite, par conséquent, de ce fait même (Jr, 34, 17). Cette caste se prétend libérée de l’Alliance? Elle le sera aussi de la sollicitude divine et se verra inexorablement livrée à l’arbitraire d’un potentat dont la seule loi est celle de sa volonté.

Faut-il alors se résoudre à reconnaître dans ces représailles l’action du « Dieu vengeur de l’Ancien Testament »? Certainement pas. Les deux versets de conclusion, tirés, eux, d’un chapitre antérieur de la prophétie de Jérémie (33; 25, 26) rappelle que toute sanction divine est destinée à ramener le peuple sur les voies de la vie et que l’amour de Dieu pour ce peuple, pour son peuple, est imprescriptible (Jr ; 2, 2). C’est sur le fond de cet amour sans intermittences que le peuple doit trouver la force de s’en revenir des chemins sans issue où il avait cru pouvoir inconsidérément s’engager.

Raphaël Draï zal, 12 février 2015

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