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LA MORALE DE HILLEL ET CELLE DE NARCISSE – Radio J – 7 Juillet 2014

In CHRONIQUES RADIO on juillet 7, 2014 at 12:10

Quoi qu’en pensent les disciples de Machiavel, la politique, la morale et le droit ne sont pas dissociables. Il s’agit juste de s’accorder sur le sens de ces concepts. Dans une récente adresse aux membres de l’Association Internationale des Juristes Juifs, sa présidente, Mme Irit Kohn, nous en donne l’occasion douloureuse mais utile. Après l’enlèvement et le massacre des trois adolescents juifs en territoire présumé sous contrôle de l’Autorité palestinienne, et consultée sur le point de savoir quelle serait la réaction la plus adaptée moralement et légalement à la situation, elle écrit: « Nous devons considérer cette situation avec soin et ne pas nous tenir au niveau des meurtriers ». Cela pour exclure tout acte de représailles aveugles et de vengeance sanguinaire. J’ai trop de respect à l’égard de cette éminente juriste pour ne pas tâcher de comprendre la préoccupation morale qui sous-tend son avis. La vengeance est impuissante à rendre la vie aux victimes tandis qu’elle prépare quasi-mécaniquement d’autres actes de violences et d’autres deuils. Le meurtre d’un jeune arabe en « réponse » à la tuerie de Hébron l’atteste. N’en doutons pas: la résonance en est d’ores et mondialement assurée. Mais que signifie aussi: veiller à ne pas se tenir au niveau des assassins, quels qu’ils soient? Cette formule n’est-elle pas de celles qui mélangent, si nous n’y prenions pas garde, la morale de Hillel et celle de Narcisse?

La première enjoint de ne pas infliger à autrui ce que nous ne voudrions pas à notre tour subir de sa main. Comme le dit dans « Le premier homme » le père de Camus: « Un homme, ça s’empêche ». Autrement dit: il faut toujours anticiper les conséquences de nos actes parce qu’ils en ont, et parfois de très graves et même d’irréversibles. Pourtant la formule utilisée par Irit Kohn recèle un malentendu, comme si les Juifs étaient d’une autre nature, moralement supérieure par définition, que le reste des mortels; qu’ils se tenaient dans le Nirvana de la morale parfaite, faisant passer l’Autre avant soi dans un désintéressement digne des Anges et dans une absence totale d’affects et de passions. Pour une fois l’on entendra le personnage shakespearien de Shylock dans « Le Marchand de Venise », constatant qu’il a été grugé par ses débiteurs, pourtant bons chrétiens, lesquels en outre veulent enlever sa fille Jessica à la foi d’Israël, et qui entend se venger à sa manière: « Je suis Juif. Un Juif n’a t-il pas des yeux? Si vous nous piquez est ce que nous ne saignons pas? Si vous nous outragez est-ce que nous ne nous vengerons pas? Nous vous ressemblons aussi en cela ». Les Juifs font partie de la commune humanité et il faut le faire comprendre. Ils ne sont ni des sous-hommes ni des surhommes. Pour éviter qu’ils ne donnent pleine portée à la tirade tragique de Shylock, il faut précisément que les politiques et que les juristes appliquent pleinement la loi qui doit leur rendre justice lorsqu’il le faut, ce qui n’est pas le cas lorsque leurs tortionnaires et assassins sont assurés d’une quasi-impunité avant de se faire libérer le moment venu par d’autres assassinats et d’autres prises d’otages. On sait que le meurtrier du commissaire Mizrachi, la veille de Pessah’, faisait partie de la myriade de prisonniers élargis en échange du seul Guilaâd Shalit. Et l’on apprend que les trois suspects du triple meurtre de Hébron avaient eux aussi tâté des juridictions israéliennes qui les avait tenus quittes de leurs forfaits antérieurs mais sans dissuader leur récidive aggravée, incités en cela par des membres de la Knesset comme Ahmed Tibi.

En tout, et en morale particulièrement, l’outrance est nuisible. Depuis la fin de la seconde Guerre mondiale et ses horreurs, le « tout-éthique » sublime s’est subordonné la morale concrète et ne fait que refouler la violence qui s’est déchaînée. Confinant parfois au désistement de soi, cette posture ne peut que renforcer les terroristes dans l’idée que leurs vis à vis sont des marionnettes dont il faut savoir tirer les ficelles. Alors et à tout prendre, qu’est-il préférable? Entendre Shylock ou rejouer Guignol?

                       R. D.

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