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Meutrissures – Pessa’h 1991

In Uncategorized on mars 29, 2018 at 12:35

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Les déracinements sont-ils guérissables ? Avec le printemps s’en vient la fête de Pessah’, celle qui célèbre la Sortie d’Egypte, la libération d’un peuple voue a une complète destruction par la folie d’un despote qui se prenait pour Dieu. A Paris le printemps c’est ce bleu particulier du ciel qui place la ville tout entière sous la juridiction de la lumière. Le champ de celle-ci s’allonge encore avec l’avancement artificiel des aiguilles sur le cadran de la montre au titre de « l’heure d’été ». Lorsque les préparatifs de Pessah’ commencent, les arbres reverdissent et le sommet des feuillages semble capter cette luminosité de plus en plus surabondante vers laquelle se dirige le regard. C’est alors que survient l’éveil d’autres images, que la mémoire commence à faire mal. Non pas que s’altère d’aucune manière la joie de la libération. Mais comment oublier ces Pessah’ fêtés en Algérie lorsqu’y vivaient des communautés ferventes dont chacune revendiquait le titre de « petite Jérusalem » en attente de la Grande… A Constantine l’hiver était partagé entre des ciels d’un gris plombé, lourds d’une neige prégnante, et des firmaments d’un bleu glacé. Mais au printemps toute couleur était festive. Chacun ressentait, des Pourim, une sorte de légèreté par les multiples parfums qui montaient alors de toute la terre. Ensuite commençait avec les grands et méticuleux nettoyages des maisons le reflux de la ville dans l’ascèse de Pessah’, la marée descendante de l’effervescence sociale, symbolisée par l’abstention du levain durant plus d’une semaine. Mais plus inoubliables restent ces soirées de Seder vécues comme il convient, non pas assis à table, à la manière européenne, mais à l’orientale, ce qui donne aux postures de la liberté toute leur ampleur et leur caractère intentionnellement démonstratif. Plusieurs familles se réunissaient ainsi, constituant des volières d’enfants dont les mères et les tantes et les grands-mères tentaient de calmer les chahuts pour ne pas indisposer le groupe des grands pères, des pères et des oncles qui chantaient la Haggadah, d’abord en hébreu puis en sol’h, en judéo-arabe, s’accompagnant parfois du luth, du od’ jusqu’à ‘aube. Le sol’h avait des accents poignants, Car il attestait de la proximité des spiritualités juive et musulmane tandis que l’Algérie était politiquement à feu et à sang, que les attentats horribles des uns s’engrenaient avec les représailles aveugles des autres. Chaque communauté, européenne et musulmane, glorifiait a sa façon la liberté mais hélas ces glorifications étaient divergentes, chacune ressentant l’autre comme menace pour la sienne tandis que la Guerre civile promenait sa faux de sanglante terreur. Pessah’ à Paris ravive cette mémoire cruelle. Le plus dur dans le déracinement c’est que la terre que vous avez quittée ne vous quitte pas. ll suffit d’un accord de couleurs, d’une senteur d’acacia, d’une chemise neuve lentement dépliée en l’honneur de la fête, et aussitôt le pays fantomatique vient revendiquer une part d’ombre, ou pire encore la trace d’un rayon de lumière venue d’outre ciel. Il faut accepter en même temps que le souvenir de la Libération ce chagrin obstiné parce qu’il évoque lui aussi ce que fut la tragédie de l’impuissance à coexister. Qu’il reste question ouverte comme une plaie, attendant l’on ne sait quel remède rétroactif. Mais de Pessah’ à Shavouot le printemps s’affirme et la lumière du Sinaï le conforte. La joie finit par l’emporter, apaisant ces souvenirs remontés en flots. Accepter cette joie ce n’est pas abolir le chagrin ni l’interrogation qu’il entretient. C’est espérer qu’il s’effacera un jour dans la réconciliation.

Que Constantine, ou tout autre ville natale et inoubliée, Paris et Jérusalem, seront les trois joyaux étincelants d’une couronne de paix, les trois degrés d’un psaume consolateur.

 

Raphaël Draï, zal, L’Arche Mai, 1991

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