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LE SENS DES MITSVOT: PARACHA BALAK

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« Soudain, le Seigneur dessilla ( vayaghel ) les yeux de Bilaam et il vit ( vayar) l’Ange du Seigneur debout sur la route, l’épée nue à la main; il s’inclina et se prosterna sur sa face » ( Nb, 22, 31). Bible du Rabbinat.

 Seul l’étrange incite à l’interprétation. Quelle paracha est plus étrange en ce sens que celle qui relate la tentative de malédiction du peuple d’Israël par Balak, le fils de Péôr, sollicitant à cette fin le savoir-faire présumé d’un non moins étrange prophète, nommé Balaâm, littéralement « l’engloutisseur du peuple »? Pourtant de nombreux obstacles vont contrarier cette tentative qui vise l’âme même du peuple sorti de l’esclavage égyptien. Au delà des péripéties du récit biblique, le verset précité concerne aussi la nature même de la vision prophétique.

On le constate, deux verbes en rendent compte: vaYaGheL et vAYaR. Sont-ils redondants? Il faut le comprendre aussi exactement que possible parce que la prophétie, dans l’acception biblique du terme, la nevoua, n’a que peu de rapports avec ce qu’il est convenu d’appeler la divination et avec la prédiction de l’avenir. La nevoua concerne plutôt la perception exacte de la Parole divine afin d’en transmettre non moins exactement le contenu. Dans tous les cas il y faut une disposition de l’esprit caractérisée par une complète disponibilité et par une réceptivité maximale; ce qui exige encore que l’esprit du prophète fût désencombré de ses propres préoccupations; qu’il s’avère pleinement lucide, sans taie ni tache opaque. Lorsque cette disposition de l’esprit n’est pas assurée, l’esprit du prophète ou de celui qui passe pour tel reste entaché d’un très fort coefficient de réfraction, pour ne pas dire de déformation au risque de rendre incompréhensible la Parole divine et d’en compromettre la transmission à celui ou à ceux à qui elle est destinée afin qu’ils s’en reviennent de comportements possiblement dangereux, au risque de leur vie.

C’est pourquoi, s’agissant du prophète de malédiction, de Bilaam, incité à la destruction spirituelle puis physique du peuple d’Israël, le premier verbe employé pour ce qui le concerne est le verbe VaYaGhel construit sur la racine GL qui désigne toujours le recouvrement de la vue optique et spirituelle mais par la levée préalable de l’obstacle qui l’obscurcissait, du caillot de pensée qui empêchait la pleine compréhension de la Parole divine.

Cet obstacle se manifeste en l’occurrence par la succession de passages à l’acte d’une particulière violence commis par le prophète stipendié contre sa malheureuse ânesse avec laquelle il menait pourtant une sorte de vie commune, de concubinage contre nature! Celle-ci est certes un animal mais toutefois en mesure de discerner, elle, le sens de la parole divine, celle qui l’incite instamment à dévier de la route tortueuse qui voudrait lui faire prendre son maître malédicteur et irascible.

Si Bilaam passe ainsi à l’acte, c’est qu’habité par le sentiment de sa force divinatrice, il ne supporte pas qu’on lui résiste, qu’on n’obéisse pas à sa toute puissante volonté. Mais celle-ci se heurte désormais à celle du Créateur qui ne s’en désistera guère. Il faut alors que l’obstacle obstruant chez le prophète de malédiction le sens de la véritable perception de la parole divine fût levé – l’équivalent d’une opération de la cataracte; que fût désobstrué le puits mental qui empêchait en son esprit retors la transmission de la volonté divine, parfaitement contraire à celle de son commanditaire, de Balak.

Et c’est une fois cette opération accomplie qu’il peut pleinement percevoir ce que le Créateur attend de lui, qu’il peut véritablement voir l’Envoyé divin qui s’oppose à la progression de sa marche à contre-sens de l’Histoire d’un Israël voué à la bénédiction divine ravivant celle de tout le genre humain (Gn).

L’interaction de ces deux verbes a néanmoins une portée encore plus large que celle relative à ce singulier personnage que les Pirkéi Avot considèreront comme l’antithèse d’Abraham, le premier à être qualifié de navi, de prophète, dans le récit biblique (Gn). Dans une époque marquée par les thèmes intensément discutables que sont « la mort de Dieu », ou son « éclipse » ou son « mutisme », il importe de s’interroger, chacun à part soi et collectivement, sur la présence éventuelle en l’esprit humain d’obstacles comparables à ceux qui obstruaient l’esprit de Bilaam, et cela afin d’en opérer la levée comme il faut libérer un bien de l’hypothèque qui l’immobilise et qui le rend indisponible pour d’autres transactions.

Ces obstacles sont de plusieurs sortes et se renforcent mutuellement: les préjugés tenaces, l’ignorance voulue, l’étroitesse des conceptions, l’avarice intellectuelle, tout ce qui rabat l’esprit sur lui même et l’enferme dans un cercle de fer. Il ne faut jamais oublier que le Créateur est qualifié de « Prochain » dans le Lévitique (19, 18). Que serait un Prochain que l’on se refuserait d’accueillir, de voir et d’entendre en prétextant qu’il n’existe pas?

                                                          Raphaël Draï zatsal, 3 juillet 2014

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