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PARACHA VAETH’ANAN ( Dt, 3, 23 et sq)

44 Vaet'hanane

Le sens de cette paracha se condense tout entier dans son titre. Comme on l’a vu dans les commentaires précédents, Moïse se trouve aux abords de la terre de Canaan mais il lui a été interdit d’y entrer avec le peuple d’Israël. Comme son frère Aharon et sa sœur Myriam, sa sépulture se trouvera en deça du Jourdain. Pour lui, cette interdiction est une conclusion malheureuse de sa tâche. Quel en a été le motif principal? On s’en souvient: les Bnei Israël souffrent une fois encore de la soif et craignent de périr. Ils exigent de Moïse qu’il leur fournisse de l’eau. Moïse, qui n’en peut mais, en avise Dieu qui lui enjoint  de se diriger vers un rocher aquifère comme il s’en trouve dans le désert et là lui demander de fournir cette eau destinée à apaiser deux sortes de soifs, la soif physiologique mais sans doute également la soif de révolte du peuple sorti de la maison d’esclavage. Or au lieu de parler au rocher Moïse lui inflige deux frappes. Dieu considère que la transformation de son injonction initiale constitue la désécration de son Nom. La sanction tombe: Moïse comme son frère ne franchira pas le Jourdain. Sanction disproportionnée?

Les commentateurs de ce récit en ont débattu au cours des siècles et en débattent toujours. De l’endroit où il se trouve à présent, Moïse va rappeler à ce peuple – qu’il n’a cessé de rappeler à lui même – quelle fut sa propre réaction à l’annonce de la sanction divine. Moïse ne veut pas en rester là. Il implore  Dieu de revenir sur cette sanction  et il le fait dans un langage et selon une terminologie dont rend compte précisément le titre de la paracha. « Vaeth’anan » est une forme grammaticale construite sur la racine H’N qui désigne la grâce, la mansuétude, la compassion. Moïse solliciterait-il la pitié divine? En réalité Moïse use vis à vis de Dieu des termes  dont il lui a fait part lors de la seconde révélation du Sinaï, après la faute du Veau d’or et pour obtenir la pardon divin. Cette nouvelle révélation sera celle dite des 13 attributs de la présence divine. Dieu se révèlera notamment comme « rah’oum veh’anoun », compatissant et faisant grâce.

H’en désigne la grâce physique et aussi la grâce morale, la gratuité de l’altruisme. Moïse s’était empressé de consigner, si l’on peut dire, cette seconde révélation, sachant que les épreuves du peuple ne cesseraient pas et qu’en cas de récidive il lui faudrait  rappeler au Créateur ses attributs de miséricorde. Deux occasions lui en seront données. La première sera ouverte par la crise dite des explorateurs, elle aussi durement sanctionnée. C’est alors que pour la première fois, et expressément, Moïse invoque devant Dieu certains de ces attributs là, notamment celui de longanimité ( rav h’essed ) ( Nb, 14, 17 et sq ). Et Dieu lui accorde ce nouveau pardon: « J’ai pardonné ( salah’ti )  comme tu l’a demandé (kidvarekha) ».

On observera qu’à ce moment  l’attribut de h’en n’a pas été mentionné. En somme Moïse a été économe dans la remémoration des attributs divins dont d’autres ont été gardés par lui en réserve. Et c’est bien l’attribut de h’en qu’il invoque maintenant à son propre usage afin que Dieu revienne sur la décision qui l’afflige, qu’il l’autorise à franchir le fleuve – limite, qu’il le laisse pénétrer avec le peuple sur la terre qui leur est dévolue par la divine bonté et la non moins divine justice. Que Dieu se montre à son égard h’anoun, qu’il ne s’arrête pas à la faute commise dans la substitution du passage à l’acte à la parole qui seule qualifie l’Humain en tant que tel.

Cette fois, et toujours pour employer un inévitable vocabulaire anthropomorphique, Dieu ne se laisse pas fléchir. Au contraire: il assigne à Moise une nouvelle ligne à ne pas franchir, et cela par la formule: « C’en est assez pour toi (rav- lakh) ». Cette formule, Moïse la connaît bien puisque lui même en a usé face à Korah ’et à ses affidés (Nb, 16, 7). Moise doit comprendre et doit admettre que les attributs divins ne se sollicitent pas de cette façon: à usage  personnel, privativement. Moïse ne le savait –il pas? Une autre hypothèse est envisageable.

Tout se passe comme si Moïse avait sollicité une troisième révélation qui eût outrepassé la seconde: celle des 13 attributs, pour en révéler de nouveaux. Par ce «  rav- lakh » tout se passe comme si Dieu avait signifié à Moïse qu’il n’y avait pas de révélation supplémentaire en réserve  et qu’il fallait savoir user des 13 attributs de miséricorde, en eux même suffisants, à bon escient. Moïse avait sollicité la grâce divine. Dieu a estimé en ce cas que cette sollicitation n’avait pas d’objet. Moïse devait se le tenir pour dit. Dieu l’invite toutefois à monter à une tout autre hauteur que celle de ses propres états d’âme. Son corps demeurera en deçà du Jourdain. Mais son exemple le traversera pour ne plus jamais quitter l’esprit du peuple qu’il avait conduit durant de si longues années, avec une grâce inépuisable, elle aussi.

 Raphaël Draï zatsal, 18 juillet 2013

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