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« A LA CROISEE DES CHEMINS » – Actu J – 6 Février

In ActuJ, ARTICLES, SUJETS D'ACTUALITE on février 5, 2014 at 11:15

Tel était le titre d’un des livres les plus importants de Ah’ad Aâm dont on sait le rôle qu’il joua dans le Mouvement Sioniste Mondial, lorsque le peuple juif après dix neuf siècles d’exil revint dans l’Histoire mondiale active. Ce titre pourrait servir de question fondamentale pour les Juifs de France ouvertement confrontés à l’antisémitisme sous tous ses oripeaux: antisémitisme de droite, de gauche, avec ses faux-nez politiques, notamment celui de l’antisionisme, avec ses stéréotypes plus compacts que le ciment armé. Qu’on en juge par ces propos de Roger Martin du Gard, relatant en septembre 1938, durant les jours fatidiques de Munich, une discussion avec Raymond Aron qui ne partageait pas ses vues: « Admirable faculté de cette race juive, lorsqu’il s’agit de critiquer, de détruire, de saper froidement les assises de tout ». Roger Martin du Gard avait obtenu le prix Nobel de littérature. Que laissait-il aux Rebatet, Céline et Brasillach! L’antisémitisme est aussi ancien que le fait juif sous la figure d’un peuple à la pensée irréductible. Les historiens trouvent dans les récits évangéliques sa source la  plus délétère. Dans « The Return of The Devil » Daniel Goldhagen vient d’y recenser  pas moins de deux cents assertions anti-juives d’une extrême virulence. Mais si les prédicateurs évangélistes s’autorisaient à déblatérer ainsi, de Matthieu à Jean Chrysostome, n’est-ce pas parce qu’ils s’adressaient à des auditoires favorablement disposés envers cette haine à visage d’amour, encore plus destructrice que la « haine gratuite » que le Talmud analyse? Comment expliquer ces prédispositions? Faut –il remonter  à Pharaon, à Amalek, à Haman? Pourquoi leurs faces de gorgone sont-elles pérennes? De quoi se nourrissent leur  progéniture et se confortent leurs engeances, avec leurs relais dans la littérature, dans la philosophie, dans l’art? Tant que ces multiples écuries d’Augias ne seront pas nettoyées l’antisémitisme s’engraissera  de leurs déjections présentées comme éclats de pensée pure. Pourtant, pendant que l’antisémitisme  selon tous ses avatars sévissait, la résistance du peuple juif s’organisait et s’affirmait au plus haut niveau d’intelligence et de spiritualité. La Michna a été conçue en même temps qu’était construit le Colisée de Rome auquel ont travaillé des cohortes d’esclaves déportés de Judée après la destruction du Temple par Titus et le Talmud répondit au moins en partie aux polémiques des prédicateurs chrétiens, de plus en plus coupés de leurs racines juives. Et que dire de la transmission des écrits incandescents colligés  dans le Zohar! Si la notion de résistance a un sens, elle le trouva aux pires périodes de la persécution lorsque les Juifs ne bénéficiaient d’aucune citoyenneté au sens contemporain, lorsque l’Etat d’Israël n’existait pas. Imagine t-on la somme de courage, celle du corps et celle de l’âme, requise pour écrire en plein exil « Le Guide des  Egarés », les « Arbâ Tourim », le «Choulh’ane Aroukh» et d’autres monuments de la pensée humaine? Aujourd’hui, en France même, l’antisémitisme montre à nouveau son groin, émergeant des bauges de la crise économique, des dislocations  de l’intellect, du panurgisme technologique et de tous les fanatismes qui se présentent comme leur irrationnelle alternative. Les premiers livres dénonçant « le nouvel antisémitisme » remontent à l’année 2000. Depuis quatorze années, les signaux d’alerte sont tirés à tous les étages. Durant cette sombre période dont nul n’aurait osé songer qu’elle se reproduirait après la seconde Guerre mondiale, la communauté juive de France aura manqué de bien des choses, sauf d’avertissements. En 1947 paraissait un livre prémonitoire de François – Jean Armorin : «Des Juifs quittent l’Europe». Aujourd’hui, des Juifs quittent la France ou songent à la quitter lorsqu’ils en ont la possibilité personnelle et matérielle. Contrairement à une idée répandue, leur mobile principal n’est pas la peur mais le respect de soi et des siens. L’on ne veut plus vivre les temps où l’on découvrait l’incroyable au fur et à mesure qu’il se révélait horriblement. Mais que deviennent les autres, ceux et celles qui doivent endurer ce climat nécrosé alors qu’ils ont déjà connu, eux ou leurs parents, la déportation ou le «rapatriement »? Ce n’est pas parce qu’une certaine Histoire semble se répéter qu’il faut se laisser prendre dans ses engrenages. Les leaders  officiels de la Communauté juive le savent. Y réagissent-ils autrement qu’en ordre dispersé et dans des discours sans lendemain? Comment organiser en pleines responsabilités et lucidité un débat de dimension nationale et de portée historique pour ne plus se tromper de route? Le temps est venu de se dépasser.

                                                                        Raphaël Draï – Actu J, 6 Février 2014

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